"En deux livraisons, la revue Quasimodo explore les atrocités des guerres à travers le prisme du corps. Dénonciatrice implacable, la revue pratique l’autopsie précise de nos rêves d’humanisme.
Il devrait être recommandé de ne pas lire les deux volumes de la revue Quasimodo consacrés aux « Corps en guerre » d’une seule traite. Le lecteur boulimique s’exposerait aux cauchemars, à la nausée, et probablement à la paranoïa. C’est que la revue, spécialiste de l’étude du corps dans nos sociétés, ne nous épargne rien des horreurs commises pendant les conflits, anciens ou récents : meurtres, viols, tortures, massacres, génocides. Ni des stratégies, des politiques d’extermination et des pratiques scientifiques qui visent à éliminer, détruire, saccager. Quasimodo n’explore pas seulement l’imagerie populaire du corps de l’ennemi, du soldat, du disparu. Sous la direction de Frédéric Baillette (enseignant dans le civil), la revue multiplie réflexions et informations sur l’utilisation, la négation, l’élimination, la transformation des corps avant pendant ou après une guerre. Appuyées par une iconographie foisonnante due pour une bonne part à la production artistique récente, les contributions abordent l’Histoire, la sociologie, la philosophie, la politique, la psychologie. Et, surtout, l’information. Ce travail, titanesque, devrait être donné en exemple à tous ceux qui veulent faire métier de journaliste, à ceux qui prétendent penser l’influence des médias, à ceux, enfin, qui ne se contentent pas des communiqués ou des silences officiels. Il y a quelque chose de Michaël Moore dans les articles de Frédéric Baillette, la légèreté en moins, l’implacable rigueur en plus. Quasimodo rétablit des vérités que la vulgate avait tendance à oublier. Ou à ignorer...
Documenté en diable, le directeur de la publication propose une énumération des armes utilisées pour détruire, en priorité, les populations civiles et plus souvent les enfants. Armes terribles dans ce qu’elles sont : telles la BLU-28B, la plus grosse bombe conventionnelle, utilisée par les Américains contre les Irakiens et les Talibans : « Conçue pour exploser à un mètre du sol, afin de minimiser l’effet cratère et de maximaliser l’effet de souffle, elle génère une surpression de 50 à 700 tonnes par mètre carré autour du point d’impact ».
Armes terribles par ce qu’elles disent de ceux qui les conçoivent et les emploient : l’éreintage de l’Irak, programmé sous Bush 1er, se traduisit par la première guerre d’Irak., tellement plus meurtrière que ce qu’on en a dit, se poursuivit avec l’embargo dont les conséquences étaient prévues par la Defense Intelligence Agency : « Le document envisageait le délabrement attendu de l’état de santé de la population dans les deux, trois mois suivants, déclinant cyniquement, par « ordre décroissant », les « infections les plus probables : diarrhées aiguës (particulièrement chez les enfants) ; maladies respiratoires aiguës (influenza) ; typhoïde, hépatite A (particulièrement chez les enfants) ; rougeole, diphtérie et coqueluche (particulièrement chez les enfants) ; méningite, incluant méningite cérébro-spinale (particulièrement chez les enfants) (...) »
Tuer les enfants, c’est atteindre l’opinion publique. Mais s’il s’agit d’abattre toute résistance chez l’ennemi, il convient de ne pas réveiller les consciences chez soi. Dès lors, la propagande largement diffusée par les médias, visera à légitimer une action militaire présentée comme juste, amicale, humanitaire presque... Laurent Gervereau étudie le rapport que la guerre entretient avec l’image. De la Première Guerre mondiale à la guerre d’Irak en passant par la guerre civile espagnole, son étude débouche sur une certitude : « la guerre de l’information ne cessera pas. » Sur ce registre, Quasimodo excelle à montrer comment les politiques agissent sur les consciences pour créer les conditions de la guerre, du rejet de l’autre, du sacrifice de soi-même.
Impossible de résumer le contenu de ses deux numéros qui pèsent lourd. On invitera le lecteur à lire la contribution de Jean-Yves Le Naour sur la « honte noire » ; l’étude de Luc Capdevilla et Danièle Voldman sur le sort des cadavres en temps de guerre ; celle sur les corps disparus de la dictature argentine par Martine Lefeuvre-Déotte, les notions de « corps d’exception » proposées par Pierre Tévanian.
Imposants et roboratifs, ces deux numéros ne rendent pas joyeux, mais ils interdisent qu’on dise plus tard : « on ne savait pas. » Leur lecture n’en est que plus nécessaire."
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"La revue Quasimodo vient de sortir un numéro spécial sur les modifications corporelles. Cette production (qui s’apparente plus à un véritable ouvrage de référence de près de 400 pages sur le sujet) aborde la question centrale de la place du corps dans la société.
En effet le corps, ce « corps » que nous possédons tous, nous est en fait devenu tellement familier qu’il finit souvent par passer inaperçu, comme allant de soi, et nous le vivons dès lors comme un élément essentiellement familier, intime alors que... alors.. qu’en fait - et c’est ce qu’interroge en profondeur cet ouvrage collectif - le corps humain bien au-delà de sa sphère intime représente également une dimension collective, sociale, au sens où il est perçu, analysé, en fonction de normes constitutives d’un ordre existant, et que le corps et ses représentations constituent donc bien un enjeu collectif majeur (une question de survie ?) pour la société basée sur le respect de ces normes.
Un enjeu politique entendu au sens « politique = vie de la cité »
Les modifications corporelles les plus diverses que des gens effectuent constituent de fait des messages adressés au monde qui les entoure, des messages de séduction ou de provocation, qui répondent/résonnent à des normes édictées à un moment donné afin de régir le « beau », le « séduisant », l’acceptable, l’intégrable.
Le corps constitue ainsi une arme et le vecteur d’un message d’une portée infiniment plus vaste qu’un simple choix esthétique inoffensif.
L’exemple du look et des rites corporels adoptés par certains groupes minoritaires (punks, gothiques, skinheads, ravers...) ou ethniques, l’évoquation du rôle la chevelure comme mode de contestation radical dans les années 70 (les « cheveux longs » contestataires contre l’ordre établi des cheveux courts...), des codifications corporelles très strictes dans le monde sportif, et mille autres exemples, illustrent tout au long des 400 pages du livre l’importance capitale du corps comme élément de structuration de ce « corps social » (tiens, tiens..) nommé société.
Le corps intime n’est pas - et ne peut être - traité de manière « neutre » par l’ordre social tout simplement parce que visuellement il confirme ou infirme la valeur du message véhiculé par la société. Il porte témoignage...
Arborer un tatouage ou des percings, être gros, afficher des habits, un look, en décalage avec l’image de son sexe officiel ou de son âge constituent autant de signes explicites qui seront immanquablement perçus comme des « défis » politiques à l’ordre esthético-social existant, des signe de déviance... alors même qu’ils n’auront pas forcément cette signification consciente chez celles et ceux qui les mettent en œuvre !!!
Au delà d’une réflexion intellectuelle poussée et omniprésente, fortement (et joliment) illustrée d’images et d’exemples historiques réels (comme la tonte systématique utilisée en tant qu’humiliation dans la guerre civile espagnole, dans les camps d’Auschwitz ou à la libération de Paris en 1945...) ces questions sur les modifications corporelles interpellent fortement le mouvement de la Size-Acceptance sur la signification même de la grossitude pour les gros eux même, et pour la société qui a édicté en valeur absolue à un moment donné du temps, la minceur comme synonyme de beau et d’intégration.
Une réflexion de fond sur ces questions démontre en effet que les questions de la grossitude et de la discrimination qui en constitue aujourd’hui le triste corollaire- ne peuvent se limiter à une approche simplement médicale et esthétique mais bien également sociale et politique.
Comment en effet une société qui déclare à longueur de médias faire de la « guerre à l’obésité » sa priorité de santé numéro un pourrait t-elle ne pas réagir avec violence et intolérance face aux gros ? Ceux-ci ne lui renvoient-ils pas (involontairement certes pour la grande majorité d’entre eux, mais pas tous...) à la face, l’échec de cette volonté farouche de normalisation ?
Le corps gros ne constituerait-t-il pas en quelque sorte à ce jour - de par son existence même - une marque de défiance, de refus de la norme, une rébellion visuelle contre le « beau », le « sain », bref tout ce qui est censé faire rêver et fédérer le bon peuple ?
L’ouvrage suggère toutes ces questions et bien d’autres... il constitue de ce point de vue un livre indispensable pour mieux comprendre cette dimension de nous si proche et pourtant si mal connue... notre corps et ce qu’il veut exprimer à travers ses modifications.
Un pur morceau de passion à dévorer..."
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"Les atteintes volontaires au corps « naturel » sont généralement jugées comme désobéissance à l’ordre établi (social, divin, familial...), mais qu’est-ce qu’un corps naturel ?
Le corps est en effet le résultat de modifications corporelles permanentes (maquillage, bronzage, gestion du poids...) et volontaires. Certaines sont admises voire utiles pour s’intégrer (hygiène corporelle, souffrance valorisée de l’effort physique), d’autres sont qualifiées d’extrêmes et d’inutiles socialement (douleur des tatouages, automutilation s’opposant à l’intégrité physique, revendications politiques ou religieuses de la chevelure, pratiques sexuelles sado-masochistes...).Les modifications corporelles contemporaines peuvent-elles, tout en « infléchissant son destin anatomique », être lues comme des stratégies identitaires, esthétiques et politiques en interrogeant la notion de normalité corporelle ?
C’est l’hypothèse que tente d’explorer ce numéro : c’est à travers les pratiques extrêmes que la normalité sociale du corps peut être réfléchie. Si le corps a une importance croissante dans nos sociétés médiatiques, il entraîne aussi des réactions quasi viscérales de rejet, d’angoisse devant certaines pratiques (piercing, implant, scarifications...). Quel est le sens de certaines pratiques et leurs effets dans le champ social : sauvegarder sa cohérences intime en refusant un corps maîtrisé. Lutter contre les discriminations (concernant le corps trop gros, handicapé) ? rechercher de nouvelles sensations corporelles ? Refuser de s’inscrire dans un modèle masculin de virilité ? Retravailler son corps pour en faire un « théâtre érotique » ? etc.
Ce numéro de Quasimodo, superbement illustré, explore ainsi une large palette de modifications corporelles afin d’en repérer logiques et enjeux."
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