QUASIMODO

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Bulletin Critique du Livre en Français

n° 628 - janvier 2001
 

"La revue Quasimodo poursuit une passionnante réflexion interdisciplinaire sur le corps comme enjeu social et politique. La livraison du printemps 2000 est consacrée à ce que Michel de Certeau a appelé les fictions du corps. Il s’agit d’analyser la manière dont les pouvoirs, les sciences et la culture de masse fabriquent des « figures » ou des « faciès types », qui ont pour effet et souvent pour but de susciter et d’entretenir des peurs ou des haines collectives. Les idéologies de la discrimination et du rejet (que ce soit le racisme, l’antisémitisme, la xénophobie, le sexisme, etc.) ont en effet besoin de souligner ou parfois d’inventer des stigmates physiques, permettant à la fois d’identifier les « mauvais sujets » et de justifier leur mise à l’écart, sous tutelle ou parfois même à mort. Les dix-neuf contributions rassemblées dans ce volume s’interrogent sur l’élaboration, la diffusion et l’utilisation de ces fictions de corps : qui les construit, de quelle manière, comment s’organise leur transmission, quels sont leurs effets ? Elles comprennent d’intéressantes études sur les figures du juif, du gitan, de la femme et du malade du sida.

Il est dommage, toutefois qu’aucun article ne soit consacré aux nombreux discours sur le « corps nègre » au temps de l’esclavage ; mais cette omission ne fait que refléter une lacune plus grande des sciences humaines sur cet épisode de l’histoire. Il est regrettable aussi, mais plus surprenant, qu’aucun article ne soit consacré spécifiquement au discours médical et policier sur les homosexuels. Bienvenue est en revanche l’importante place faite à l’imaginaire colonial, étant donné le rôle qu’il a joué et continue de jouer dans la production du racisme en France. Des articles, parmi les plus intéressants de la revue, sont ainsi consacrés à l’illustration populaire, au mythe du tirailleur sénégalais et au fantasme de la prostituée indigène, ainsi qu’à la persistance de l’imaginaire colonial dans les commentaires sportifs. Il faut enfin signaler deux remarquables analyses , très documentées, sur la préparation et l’accompagnement idéologique du génocide rwandais, dues à Jean-Paul Gouteux et à Frédéric Baillette.

Au-delà de leur diversité, ces études ont en commun un grand mérite : elles apportent un démenti à l’idée reçue selon laquelle la « peur de l’autre » n’est qu’un mécanisme naturel. Chacun des articles montre en effet, exemples édifiants à l’appui, que cette peur est toujours produite, et que cette production repose sur une prolifération d’artefacts culturels (images et discours). Une lecture qui se recommande à tous ceux voulant comprendre, pour les combattre, les ressorts de l’exclusion et de la violence politique."

Bulletin Critique du Livre en Français

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